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Comment Igor a disparu

Création 2017 / théâtre

Texte et mise en scène Jean Bechetoille

Distribution et mentions obligatoires

Avec Alice Allwright, Guarani Feitosa, Romain Francisco, William Lebghil, Laurent Lévy et Nadine Marcovici.

Musique Les Sept dernières parole du Christ de Joseph Haydn – arrangements et création originale Romain Francisco, Scénographie Juliette Minchin | Lumières Vera Martins | Costumes Dorothée Lissac | Collaboration artistique Guillaume Gras | Remerciements Claire Tong

Production Compagnie du 1er Août
Coproduction Théâtre 13 / Paris
Avec le soutien de la SACD, d’Arcadi et de la Spedidam
Texte soutenu par « À mots découverts »
Avec le soutien en résidence du VPK au Volapük, de la Maison Copeau et du théâtre de L’Escabeau

Synopsis

Igor revient d’un long voyage. Pour célébrer son retour chez eux, ses parents organisent une petite fête et invitent Luc, le meilleur ami d’Igor. Igor fait la connaissance de Nicole, étudiante hébergée par ses parents pendant son absence. C’est le coup de foudre. Mais leur amour demeure platonique, et Igor, incapable de réaliser ses fantasmes s’enfonce jour après jour dans un mutisme angoissant. Le père, la mère, Luc et Nicole vaquent à leurs occupations, hermétiques au malaise qui habite cette maison et Igor disparaît doucement tandis que le Chœur, convaincu d’être inutile, trouve peu à peu sa place.

Note d’intention

Comment Igor a disparu est une comédie sur la famille.

La famille d’Igor est une famille à part entière. Elle a son fonctionnement propre avec ses rites, ses non-dits, son langage. Je veux inviter le spectateur à assister à l’intimité de cette famille. C’est déjà un spectacle en soi.

Je veux mettre sur scène cette famille pour interroger le bien fondé des règles qui régissent un groupe. Plongés dans leur quotidien, les parents d’Igor ne peuvent pas imaginer un autre mode de vie : le remettre en cause, ce serait interroger leur bonheur et la légitimé de leur clan. Ils feront tout pour ne pas voir le mal-être d’Igor. Le modèle familial doit survivre, quitte à sacrifier Igor, qui sera remplacé par son meilleur ami, plus apte à répondre aux attentes de ses parents. C’est une pièce sur l’immobilisme familial et le déni.

Comment Igor a disparu est une pièce sur l’exclusion. Je veux montrer ses mécanismes. Je ne veux pas plaindre Igor mais montrer qu’il a hérité de ce dysfonctionnement et qu’il participe à sa propre perte. Igor ne trouve pas sa place parmi ceux qui l’ont engendré, qui l’ont éduqué. Je veux montrer à quel point la structure familiale peut être étouffante, à quel point – parce qu’elle est notre premier repère – elle peut rendre inapte à l’épanouissement personnel et au monde extérieur.

Parce que ce cercle familial est rigide – ‘‘la famille c’est sacrée’’ – Igor ne sait plus ce qu’il veut, il n’arrive pas à se réaliser. Perdu entre ses propres désirs et l’attente de ses parents, entre ses racines et ce qu’il est, il devient passif. Il disparaît parce qu’il ne peut pas reproduire le modèle familial. Je veux montrer que les mécanismes d’exclusion sont totalement arbitraires. Ainsi, aux yeux du spectateur, Igor semble plus normal, plus sain, que les autres membres de sa famille.

Mais c’est une comédie. Il s’agit donc de faire rire. Je veux faire de la souffrance d’Igor, de sa panique face à l’objet de son désir, un spectacle clownesque. Sa famille ne saisit pas le drame, elle reste totalement imperméable à ses souffrances : l’étrangeté de cette réaction – si courante – doit faire rire. Je veux créer un univers cohérent et crédible afin que le spectateur s’identifie aux personnages et puisse en rire. Je ne veux pas souligner les étrangetés inhérentes au texte – qui doivent échapper aux personnages ; je veux surprendre le public quand la pièce basculera tout à coup dans un monde surréaliste ou fantastique.

Le décalage entre le lyrisme de la langue familiale et la médiocrité de leur existence, l’abîme entre leurs rêves de voyages, leur amour pour le dehors et leur immobilisme, tout ceci doit aussi faire rire.

Enfin, la musique, parfois solennelle, soulignera malicieusement la futilité de leurs existences face au drame qui se joue : la mort d’Igor.
A l’aide d’un dispositif simple – un système de découpe qui éclaire le lieu de vie symbolisé par une table massive – je veux créer une image claire : la maison et autour, les ténèbres. Cette image simpliste est le schéma imposé à Igor par ses parents. Elle est la vision manichéenne du monde dont je veux rire.

Dans les ténèbres le Chœur cherche sa place. Il est l’homme seul qui doit trouver un sens à son existence face à un monde qu’il ne comprend pas, auquel il ne veut pas – ne peut pas – appartenir. Au fur et à mesure de la descente aux enfers d’Igor, un sentiment d’empathie s’empare du personnage du Chœur qui trouve sa place dans la religion. Il se souvient alors de la phrase du Pape : « Toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres » . Il accepte ainsi d’être inutile et d’assister au terrible spectacle de la disparition d’Igor. Il se réalisera – il se valorisera – dans une forme de passivité contemplative.

La disparition d’Igor parle de toutes les formes d’exclusion : le déni de soi, la marginalisation, la dépression, la toxicomanie, le suicide. Sa famille symbolise la norme tyrannique qui l’empêche d’exprimer ses propres désirs, qui questionne sa place dans le groupe sans jamais se poser la question de ce qu’il est vraiment.

Face à ce drame de la vie quotidienne, il y a une réponse facile : le christianisme. Tout homme mérite de vivre dignement. Une idée tout à fait respectable et bienveillante… peut-être même indispensable pour accepter le monde dans sa diversité et sa détresse. Mais c’est aussi une manière passive d’accepter le monde dans sa monstruosité. Un monde où tout est acceptable.

Comment Igor a disparu est un sorte de témoignage. Sans proposer aucun message, aucune solution, à la disparition d’Igor, je veux seulement mettre un peu de lumière sur le rôle que nous jouons tous face à l’exclusion et à la solitude.

Jean Bechetoille, mai 2017.